ARKEA ULTIM CHALLENGE - Brest : premier tour du monde en course, en solitaire, à bord d’un Ultim 32/23 !

l'histoire vue par

© Éric Loizeau 

Le grand tournant

Dans l’esprit des coureurs au large obnubilés par la navigation en solitaire, le vrai tournant s’est opéré en décembre 1978 lorsque le Canadien Mike Birch, déjouant tous les pronostics, remporte la première Route du Rhum après un dernier âpre duel au louvoyage[1] le long des côtes guadeloupéennes contre le grand monocoque de Michel Malinowski. Les quotidiens de sport avaient titré « la victoire de David contre Goliath », car un petit trimaran de 11m30 avait vaincu aux yeux de tous, un monocoque de 23m.

Jeune coureur au large auréolé de deux victoires dans la récente course autour du monde en équipage, je rêvais alors de m’aligner sur la prochaine OSTAR, la reine des courses en solitaire remportée deux fois par mon maître et père spirituel en matière de voile Eric Tabarly. De Plymouth à Newport, c’est un parcours presque exclusivement contre le vent et je m’étais mis dans la tête de faire construire une « machine à remonter le vent » demandant à mon pote rochelais le jeune architecte Philippe Briand de me dessiner un monocoque de 60 pieds, 18m30, la taille maximum autorisée. 

Après avoir écouté à la radio l’arrivée de la course puis analysé les péripéties et le parcours des deux bateaux, il m’était paru évident d’acquérir un trimaran. Dommage pour Philippe !  Je contactais aussitôt Walter Greene le constructeur du bateau de Mike Birch et expert de cette nouvelle école américaine qui allait me concevoir un trimaran extraordinaire de 45 pieds (13m70), Gauloises 4.

Les multicoques entrent dans l’arène

En effet, jusqu’à la victoire surprise de Mike Birch, les multicoques, inspirés des pirogues polynésiennes, avaient la réputation de bateaux certes rapides aux allures portantes, mais empruntés dans le petit temps et contre le vent. On les pensait aussi fragiles et dangereux. 

Le seul trimaran de course vraiment performant, Pen Duick IV devenu par la suite Manureva, avait été conçu par André Allègre pour Eric Tabarly en 1968 puisque ce dernier, toujours aussi visionnaire, avait décrété que « l’avenir des courses en solitaire se jouerait en multicoque » ! 

Finalement, avant les victoires de Mike Birch sur la Route du Rhum 78 et de Phil Weld (Moxie) sur l’OSTAR de 1980, les multicoques n’avaient pas vraiment convaincu pour courir en solitaire. C’est grâce à ces succès indiscutables et aussi à l’envolée du « sponsoring » qu’entre 1980 et 1984 les multicoques vont connaître un véritable essor ! 

C’est à ce moment aussi, que l’on commence à s’intéresser aux foils. Eric Tabarly d’abord avec son bateau Paul Ricard, avec lequel il bat le record de l’Atlantique en équipage, suivi par une série de trimarans à foils d’une quinzaine de mètres dessinés par Marc Lombard, jeune architecte naval talentueux à qui on devra plus tard les premiers appendices rétractables, puis le géant Charles Heidsieck, plan Ollier de 26 mètres. 

Des catamarans aux dimensions exponentielles

En 1984, après une seconde édition de la Route du Rhum gagnée par un catamaran de 20 mètres (Elf Aquitaine de Marc Pajot), la roue tourne en faveur de ces derniers plus adaptés aux compétitions des quatre années à venir. Après de nombreuses discussions sur la longueur des bateaux, d’abord fixée à 20 mètres par l’assemblée des coureurs (ACIMO) puis dépassée d’une façon exponentielle, apparaissent les premiers catamarans géants des mers : Tag Heuer 24 mètres, Fleury Michon, Charente Maritime, Royale, tous approchant les 26 mètres !

Retour aux fondamentaux sur trimarans

Mais rapidement, les solitaires vont revenir aux trimarans tout d’abord pour des raisons de sécurité. En effet, pour être performants, les catamarans doivent naviguer avec la coque au vent sortie de l’eau, une technique de navigation adaptée à l’équipage mais moins au solitaire qui passe environ cinquante pour cent de son temps à la barre. Sous peine de chavirer, il est obligatoire alors de réduire la voilure du bateau ce qui affecte évidemment sa vitesse. 

Philippe Poupon en est bien conscient puisqu’il choisit un trimaran de 75 pieds (22,85m) pour gagner la Route du Rhum de 1986. Cette course s’avère une hécatombe pour les maxi-multicoques avec les chavirages de Royale (disparition de son skipper Loïc Caradec), de Jean Stalaven, les abandons de Charente Maritime, Côte d’Or, Roger et Gallet, Apricot, Jet Services. Elle incite les organisateurs à s’aligner sur les Britanniques et limiter la taille des bateaux à 60 pieds pour les prochaines courses en solitaire. Ce sera un mal pour un bien puisque la nouvelle génération des trimarans ORMA, tous équipés des premiers foils allégeant les flotteurs et évitant que l’avant du bateau ne plante dans les vagues, va permettre une première ébauche des gigantesques plans porteurs d’aujourd’hui.

Le 21e siècle et ses trimarans de plus de 100 pieds

Cela dit, ces bateaux, parfaits pour traverser l’Atlantique ne correspondent pas aux envolées « tourdumondistes » en équipage. Ce qui explique, qu’à l’orée du 21e siècle, la construction des premiers vrais trimarans géants approchant ou dépassant les 100 pieds de long (30m) et destinés en priorité au Trophée Jules Verne (Record du tour du monde en équipage) sera lancée. 

Le premier de la série étant Géronimo d’Olivier de Kersauson (34m) construit chez Multiplast à Vannes en 2001 et le plus grand Spindrift, ex-Banque Populaire, de 40 mètres de long et 23 de large, conçu en 2008 également par le cabinet d’architecture VPLP. 

Sans oublier les maxi catamarans dessinés par Gilles Ollier et construits au début des années 2000 toujours chez Multiplast : Innovation Explorer (32m80) skippé par Loick Peyron pour The Race (seule course autour du monde en équipage en multicoques), suivi en 2003 par le mastodonte Orange 2 (36m80) mené par une équipe de 13 personnes, bateau de record établissant en 2005 un nouveau temps de référence autour du monde en 50 jours 16 heures avec une moyenne horaire de 17, 9 noeuds !

Mais le véritable retour des géants solitaires se fera en 2010 avec la victoire de Franck Cammas sur la Route du Rhum (courue de nouveau sans limite de taille) à bord de son fabuleux trimaran de 31m50, Groupama 3 conçu initialement pour s’attaquer au Trophée Jules Verne. Avec ce bateau et cet exploit Franck ouvrira la voie aux tentatives de records autour du monde en solitaire sur des maxi trimarans et contribuera à la naissance de la Classe Ultim. François Gabart s’en inspirera pour concevoir son premier Macif, trimaran de 32 mètres avec lequel il effacera en 2017 les performances précédentes de Francis Joyon en 2008 (57 jours 13 heures 4 minutes), de Thomas Coville en 2017 (49 jours 3 heures 4 minutes), avec un nouveau temps de référence de 42 jours 16 heures 40 minutes qui ne doit pas faire oublier les premiers téméraires à oser un tel exploit, Philippe Monnet (1986 - 129 jours), Olivier de Kersauson (1989 - 125 jours), Ellen MacArthur (2004 - 71 jours) !

Cela préfigurera la prochaine course ultime, celle de tous les superlatifs, qui partira de Brest fin 2023, première course autour du monde par les trois caps, en solitaire et en multicoque, l’événement majeur de l’histoire de la course au large, l’ARKEA ULTIM CHALLENGE - Brest, qui verra s’affronter sur les océans les plus grands trimarans volants du monde menés par les plus audacieux des skippers.

[1] Louvoyage : virements de bord au plus près du vent, nécessaires pour emprunter une trajectoire face au vent sans être arrêté (car un bateau face au vent, ne peut avancer) 

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